mercredi 20 février 2008

Véro... de l'autre côté de l'Océan....


Je ne sais jamais si je fais bien ... de vous parler de l'autre Véro que j'étais. Je ne sais jamais parce que cela peut vous mener vers des sensations nouvelles envers moi... et j'ai trop besoin qu'on m'aime pour supporter votre rejet...

Rejetée, je l'ai été par mon père... je crois avoir déjà dit ma souffrance dûe à une telle incohérence... je crois avoir fait un portrait de mon papa assez effrayant mais c'est ce que j'ai en moi comme sentiment effarouché... j'aimerais me débarrasser de cette peur, de cette frayeur... mais je n'y parviens pas...

Ma seule solution pour me sortir de neuf années (les premières de ma vie) de violence parentale, a été de mettre tout dans un coin de mon esprit et de fermer la porte du souvenir à double tour... au risque de réfuter l'idée d'avoir eu un père un jour... oublier, faire peau neuve... ça m'a sauvée...

Lui était capable de tout oublier, le matin, au réveil... il ne se souvenait jamais de rien... pas même d'avoir pesté du bout de sa table depuis la fin du repas, avec sa cigarette et sa bouteille de rouge... râleur et grossier... affairé à refaire le monde... à nous dire qu'on lui pourrissait la vie et qu'on l'énervait tout le temps... il prenait un malin plaisir à crier fort, à nous éteindre la télé, seule chose capable de couvrir sa voix... il en était très irrité, car ma mère augmentait le son à chaque fois qu'elle sentait ma main trembler à l'idée qu'il allait se lever de table et venir nous bousculer... je n'arrive pas à oublier certaines scènes, comme le soir où il était excédé de me voir autoriser à regarder "Sissi impératrice" pelotonnée contre ma mère... heureuse...il a pris le coup de sang, a débranché les fusibles du compteur électrique...et les a mis dans la bouche de ma mère, pour qu'elle les "mange"... il lui a cassé toutes ses dents de devant... elle faisait tout pour ne pas les avaler... le sang a coulé, encore... et je suis partie au lit, tremblante, les larmes aux yeux, avec un coup de pied aux fesses... sans voir la fin de Sissi... il a fermé ma porte de chambre à clé, comme toujours, car dès que ma mère pleurait, je sortais de mon lit et me précipitais pour la tirer vers ma chambre quand elle gisait au sol... m'enfermer à clé était la seule solution pour me canaliser... je n'avais jamais le temps d'aller faire pipi... je faisais des fois dans mon lit, mais il me grondait... alors j'ai appris à me retenir... longtemps... mais aujourd'hui, je le paye...
Le pire devait arriver... il l'avait dit... il aurait la peau de ma mère... j'ai déjà tout dit ici
Une fois... un soir...

Mon père était toujours très calme, le matin...
Il me voyait le dévisager devant mon bol de lait chaud et mes tartines... cherchant dans son regard si c'était mon papa d'hier soir où celui qui parlait très peu le reste du temps... qui partait travailler calme et rentrait le soir habité d'une rogne que je ne comprenais pas...
L'alcool n'est pas perceptible pour une petite fille... de moins de neuf ans... moi je ne savais pas que tous mes problèmes venaient de ce liquide rouge contenu dans la bouteille qui était toujours auprès du verre de mon père... elle était là, chaque soir depuis ma naissance.. pleine, puis vide... elle faisait partie de la famille... je croyais que tous les papas buvaient ça...
Je ne me suis jamais posée la question de savoir pourquoi mon père gesticulait, déversait son mal-être sur nous, frappait... c'était lui... c'était comme ça....
Jamais je n'ai su... du temps où je l'avais auprès de moi...

Quand mon père est sorti de l'hopital où on avait recousu ses blessures... il a été directement placé en cure de desintoxication... pour son bien...
Il est sorti de là, probablement sevré... mais il n'avait plus de foyer, plus de femme, plus d'enfants, qui l'attendaient... il vivait dans la caravane familiale... le partage des biens avait été fait... je pense, j'étais petite pour me préoccuper de ça... nous vivions avec ma mère... nous avions le droit de le voir un week-end sur deux... il nous amenait dans un petit resto-snack de la plage, nous payait la foire où le ciné... puis vers 16h, il avait soif, et nous devions le suivre dans un bar... parmi des hommes qui sentaient fort, parlaient fort, fumaient trop et étaient rouges... je me sentais mal et je demandais à rentrer à la maison... ce qui mettait mon père en boule... et il s'énervait alors sur moi, me disait que j'étais une pleurnicheuse, qu'il ne m'aimait pas, qu'il n'avait jamais voulu de moi et qu'il n'avait pas poussé assez fort ma mère dans l'escalier la veille de ma naissance (je suis née prématurément)... qu'il n'oublierait jamais ma silhouette droite devant lui, le fameux jour de juin 1978, pétrifiée, mes pieds baignant dans la mare de sang qui sortait de son abdomen... j'avais conscience de n'avoir rien fait... et j'avais senti qu'il avait compris que dans mon regard, se lisait une seule chose.... "papa, vide-toi de ton sang, car si tu te relèves, tu vas probablement me tuer"...
C'est atroce de devoir vivre avec une telle pensée...
J'ai très peur des choses moches que mon esprit a osé me chuchoter... c'est très dur pour moi de livrer ces choses que la petite fille que j'étais a osé espérer...

Mon père a fini par ne plus nous prendre un dimanche sur deux, stoppé par ma mère et par son avocat suite à un malheureux dimanche où il a tenté de réparer ce qu'il n'avait pas pu finir, ce soir de juin 1978... j'en ai déjà parlé ... mais il y a eu d'autres tentatives pour réparer l'erreur... dont je n'ose même pas me souvenir... pas ce soir....

Mon père est allé en prison, un an... suite à ses tentatives de "réparation", à des conduites en état d'ivresse sur la voie publique, et suite à un non paiement de la pension alimentaire... j'ai jamais vraiment su quelle "faute" avait provoqué son emprisonnement... j'ai reçu une lettre de mon père, un jour... et je suis allée m'enfermer dans la chambre avec mon frère pour la lire... je devais avoir treize ans... je lisais les mots d'un père affaibli, malheureux, qui souffrait et disait nous aimer... avoir tout gâché... et qui réclamait notre présence...

Nous ne sommes jamais allés le voir en prison...
C'est un regret avec lequel je dois vivre aussi...

Mon père a fini par vivre dans la rue, suite à sa sortie de prison... je l'ai su car un jour, accompagnée de mes amis, je l'ai croisé... je sortais du lycée... c'était l'année du bac... je marchais sur le trottoir et j'ai vu un homme qui avait une doudoune beige comparable à celle que mon père portait le dernier dimanche où il nous avait pris avec lui... il y avait des années déjà... il était sale, la bouteille à la main, chevelu, mal rasé, crasseux... je suis passée devant lui... je l'ai regardé, touchant même sa chaussure tant ma démarche tremblait... effrayée... triste... il ne m'a pas reconnue... je revois cette scène comme si c'était hier... blessée... en colère contre la vie... contre lui., contre moi.. il était devenu clochard...

Un jour de 1991, nous avons reçu un appel chez ma mère, mon frère et moi, pour nous demander si nous étions bien les héritiers de Monsieur R..... nous avons répondu que oui... c'était l'hopital du Havre... mon père était en phase terminale de cancer du foie et poumons... il n'avait aucune couverture sociale... et nous devions nous rendre vite à son chevet...
J'ai recommencé à trembler de partout et mon frère a choisi de ne pas parler. Il a toujours souffert en silence.

Quand nous sommes arrivés au service de réanimation, il était presque nu, blanc gris, très maigre et endormi... j'ai écouté le médecin nous demander "vous êtes sûrs d'être les enfants de cet homme????"... J'ai compris que nous étions trop propres sur nous pour avoir une quelconque relation avec ce qu'il était devenu... Nous avons confirmé que c'était bien notre père. Nous avons entendu un faible "Et bien, on voit de tout de nos jours, vous avez vu dans quel état il est???? vous avez une explication à nous donner pour les quatorze entailles cicatrisées qu'il a sur le torse????"...
Mon frère ne disait rien, il regardait fixement son père et pleurait silencieusement...
J'ai failli expliquer le pourquoi du comment à ce médecin mais la haine que son regard déposait sur moi était trop forte pour que je puisse me défendre sans salir encore plus cet être en fin de vie ... qui payait cher la facture... d'un alcoolisme abusif...

J'ai baissé les yeux et je me suis rapprochée de mon frère... nous sommes rentrés dans la pièce et nous n'avons rien dit...fixant cet être mis à nu, plein de blessures externes et internes... que nous avions vu se greffer à lui chaque jour de sa soif de vie... sans rien pouvoir faire... sans même le connaître...
Il est décédé le 25 mai 1991...
Nous avons eu le temps de lui dire au revoir...
L'hopital nous a appelé pour nous dire qu'il lui restait quelques heures...
Quand nous sommes arrivés, il faisait une hémorragie...
L'odeur tant malsaine de son sang qui avait collé à mes pieds nus en juin 1978 revenait à mes narines...
Il a réclamé à nous tenir la main, à nous, ses enfants... et à sa "femme"... celle qu'il avait tant aimé... sans le savoir... ma mère... venue à son chevet...
Il a été "lui-même" le jour de sa mort... l'unique jour pour moi... du chemin fait avec lui...
Jamais je ne l'avais entendu dire qu'ils nous aimaient...
Nous avons parlé de nos vacances à Quimper en 1976, seul vrai bon souvenir que nous avions en commun... de cette vie si courte avec lui, et si tourmentée...

Il est parti... me laissant à l'aube de ma vie de femme avec une envie de ne rien rater... de profiter de chaque jour de ma vie... d'avoir une famille, des enfants, et de leur dire chaque jour que je les aime... pour lui, pour toutes les fois où je ne lui ai pas dit, pour toutes les fois où il n'a pas su me le dire...

Cher Alcolo, chère Petite... je ne hais pas mon père... je hais le liquide qu'il a aimé plus que moi... je voudrais refaire marche arrière, ne pas naître si il le faut, puisque cela était trop dur pour lui d'avoir une fille...

Je voudrais lui dire "Papa, si seulement tu m'avais laissé le temps de grandir pour te comprendre... car aujourd'hui j'ai la maturité suffisante pour analyser ce qui pousse quelqu'un à choisir l'alcool comme morphine contre les coups de la vie... t'anesthésier doucement pour oublier... c'était ça que tu voulais, n'est-ce pas???...
Aujourd'hui je suis une mère et je sais que j'aurais pu te regarder sans peur, te parler, te laisser me dire pourquoi tu as noyé toute ta vie dans un verre de vin...
Mais tu es parti trop vite..."

Peut-être qu'il m'entend quelque part...
En tout cas, j'ai joué cash ce soir...
C'était normal..
Cher Alcolo, vous m'avez appris le courage et l'honnêteté...
Ne perdez jamais l'idée que votre fils vous aime... certainement plus fort que vous ne l'imaginez...
Merci de m'avoir lue.

7 commentaires:

mauxenne a dit…

tu as bien fait de tout écrire cela fait du bien je peux te le dire car quand jai écrit mon enfance cela a été un soulagement un poid un peu moins lourd à porter
je t ai dis on a un passé de souffrance toutes les deux et cela nous a raproché nous a donné un lien ou on peut parler de tout car on se comprend toi de par ton père alcolique moi de par ma mère qui pendant mes dix huit ans de ma vie m a maltraité m a souillé et on doit porter ce poid vivre avec cela et on en étouffe nos enfants on aime avec un amour amplifié enfin j en aurais tant à dire mais sache que tu as bien fait de tout mettre par écrit c est important et sache que jamais personne ne doit te juger c est pas toi la coupable tu es la victime biz à toi et merci de ton écrit

Anonyme a dit…

Je vous ai lu. Chaque mot. Quelque part chez-moi, vous avez écrit que je ne méritais pas mon nickname. J'en utilise deux en fait. Alcolo, et l'ivrogne.

Je vous ai lu. Chaque mot. Je mérite les deux nicknames que j'utilise. Pour ne jamais oublier, ne jamais croire que c'est terminé, ne jamais penser une seule minute que la maladie s'est absentée, que je suis guéri. Parce qu'alors, cette histoire que vous racontez, elle pourrait être aussi bien la mienne. Parce que, aussi, c'est la vengeance de certains, nous portons ces noms pour excuser tous les autres qui n'ont jamais su cesser. Pour porter un bout dde votre peine, pour nous rappeler que dans toute cette tornade, on n'a pas été qu'au centre.

Je vais vous écrire, je ne sais pas quand, je suis pas mal chaviré. C'est bien ainsi. Je paie ma facture. Je prends celle des autres quand je le peux. Ça empêche d'oublier, ça empêche de retourner mourir et amener l'âme de quelques autres avec soi.

Allez je me pousse, je vous écrirai, vous l'avais-je dit. Merci, bravo, pardon.

Anonyme a dit…

Et peut-être pour un sourire, sinon pour celui de Manon, un courriel contient un lien vers une princesse et son dragon, c'est dans votre boite madame! Je vais au lit maintenant ;-)

Véro a dit…

La "princesse" a vu et a été si émue ... et fière que quelqu'un puisse penser à elle avec tant de gentillesse... elle vous a écrit un petit mot en privé et est partie à l'école avec une magie plein la tête... merci pour elle... vraiment...

Pour le reste, cher alcolo, je suis moi aussi très émue... faut que je laisse glisser, un peu...

Je reviendrai plus tard... ici ou ailleurs...

Merci pour tout.

Esprit sain a dit…

Votre histoire est très touchante!

Je pense que vous vous sentez libéré justement parce que votre père est décédé. Croyez moi même si on comprend que notre père est souffrant et triste, cela ne change pas qu'il consomme tous les jours et contamine votre existence. C'est une relation toxique...

Anonyme a dit…

Rien à dire, mais le coeur y est ... :(

Corine et Olive a dit…

Terrible, pardon et beau témoignage d'amour d'une fille à son père....