C'est un film d'Hitchcock... vous le connaissez peut-être.. Marnie, c'est un peu moi...
Vous le savez, j'ai souvent trouvé du réconfort dans ce monde parallèle qui trônait dans un petit carré de lumière dans le salon familial... ce réconfort, j'en avais besoin. Il n'a pas forçément été là au moment où les mauvaises choses me sont arrivées, ou les coups sont tombés... Il l'a été bien après. Et m'a permis de me reconstruire, de rêver...
J'ai oublié de rêver pendant les premières nuits de ma vie, trop occupée à écouter si le coeur de ma maman battait encore, l'oreille collée contre le mur, le long de ma tête de lit...
Quand je savais que la violence de mon père perdait en intensité, que l'alcool commençait à flirter avec son sommeil, je me mettais sous la couverture, apaisée... mais bien souvent mon père venait finir sa nuit dans ma chambre, privé de l'accès à la sienne... ma maman s'était barricadée, enfermée, protégée... dans la pièce voisine... la chambre parentale...
J'étais alors pétrifiée... et j'attendais que le jour se lève...
Neuf années à vivre un quotidien fait d'autorité, de sermonts, de violence verbale... De mon retour de l'école au souper le soir... Neuf années à voir ma maman prendre des coups sans justification... Juste parce qu'une bouteille de vin avait donné une force décuplée à mon père et que cela lui permettait de faire régner sa loi chaque soir de notre vie...
Neuf années à demander à ma mère en l'embrassant le soir si elle sera là le lendemain à mon réveil...
Neuf années à la voir le matin au petit déjeuner soit avec des grosses lunettes noires, soit avec des hématomes sur le visage, soit avec une bouche gonflée qui n'ose plus s'ouvrir de peur d'y laisser apparaître un autre trou laissé par des dents tombées depuis quelques heures...
Neuf années à espérer que tout s'arrête car l'échelle de la violence allait crescendo et ne pressentait rien de bon...
Neuf années à pressentir quelque chose... à fermer les yeux très fort pour le chasser de mes peurs...
Neuf années, car en juin 1978, un vendredi 13, le sang a coulé plus que d'habitude...
Tout a commencé dès ma rentrée de l'école, à 16h30...
Mon père était déjà là, ma maman préparait le goûter...
Il faisait chaud... Mon frère et moi avions eu pour consigne de ne pas sortir de nos chambres...
Aucun son ne sortait de notre bouche... nous attendions.... dans un coin...
Ma mère subissait des violences dites habituelles, là bas, dans la cuisine...
Puis elle a hurlé...
Nous sommes arrivés en courant...
Mon père lui avait déversé la casserole de lait bouillant sur elle...
Elle pleurait...
Sur la table de cuisine, le pain grillé attendait, près d'un long couteau...
Elle est devenue quelqu'un d'autre...
Le sang s'est répandu partout...
Mon père tombait pour la première fois sous les coups...
Mon frère a freiné le bras desarticulé de ma mère, qui a alors repris ses esprits et s'est arrêtée net...
Mon père s'est effondré au fond de la cuisine, j'étais debout, immobile, à l'autre bout, à regarder fixement son abdomen flasque....
Le rouge arrivait jusqu'à mes pieds... De lui à moi...
Ce rouge n'est jamais parti de ma mémoire....
Cela n'arrive pas qu'à moi. Je vous raconte cela ce soir car je me sens prête à le faire. Je sais que vous ne me jugerez pas... ni ma mère qui était en légitime défense.... ni mon père qui avait "choisi" de boire depuis l'âge de ses quatorze ans, parce que c'était le seul moyen pour lui d'oublier qu'il était orphelin et qu'il était élévé par sa grand-mère, propriétaire d'un bar....
Ma mère a toujours été une maman formidable... Je l'aime tendrement...
Mon père restera toujours mon papa... Il a payé cher son addiction pour l'alcool et la cigarette... Il est décédé d'un cancer poumon-foie à 47 ans... Je l'aime, mais il ne l'a jamais su...
Lui non plus ne m'a jamais dit qu'il m'aimait, mais je le sais....
Et c'est tout ce qui compte....
jeudi 6 septembre 2007
Pas de printemps pour Marnie....
Publié par Véro à 23:13
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15 commentaires:
J'ai relu ton texte 3 fois, les larmes aux yeux. Je ne sais pas comment on fait pour survivre à cette violence, mais manifestement, tu y a non seulement survécu, mais tu sembles y avoir puisé une force peu commune. Déjà qu'avec tes filles, je te trouvais admirable, mais là, je suis sans voix.
Je réalise la chance que j'ai eu de vivre dans une famille aimante et équilibrée. Pas parfaite, mais aimante.
Je ne sais pas non plus ou on trouve le courage de pardonner. Tu m'impressionne beaucoup, Véro.
Gros câlins d'outremer xxx
Merci Marie-José, j'avais peur d'avoir fait fuir tout le monde avec mon billet à la noix!!!!
Ouf tu es là, tout va bien!!!...
Que dire? wow! Tu es peu commune et tu sembles avoir des ressources intérieures inépuisables.
Merveilleux billet.
Quand j'étais en CM2, l'année qui a suivi ce drame familial, j'ai eu une institutrice formidable, qui m'a beaucoup fait écrire, des poèmes, des petites rédactions... je rédigeais tout sous forme de métaphores, et elle a tout su comme cela... Elle a convoqué ma mère et s'est assise en face de moi, sur un petit bureau de classe, et elle m'a dit "tu écris très bien, si cela peit t'aider à extirper tout ce que tu as vécu, continue... et ne laisses jamais personne te dire que tu n'es pas quelque bien, c'est faux..."
Elle a été mutée à l'île de la Réunion et elle m'a écrit durant toute ma première année de collège..
J'ai toujorus gardé ses mots en tête... je pense à elle à chaque fois que j'écris...
Ce sont des rencontres, des personnes comme cette femme, qui m'ont montré que je pouvais avoir confiance en la vie et devenir moi...
Ce sont des personnes comme Marie-José et toi, qui me lisez, qui faites preuve d'une grande gentillesse, qui font que je me sens acceptée comme je suis, avec mon parcours et mes différences...
Merci à vous...
affectueusement...
J'ai ouvert ton blog pour la première fois et nous avons avec Marie lu cet article. Sous le coup de l'émotion nous te redisons notre amour
bises
Marie et Daniel
Marie et Daniel : moi aussi j'ai été émue, de lire ce petit commentaire! Je ne m'y attendais pas du tout!?... merci...
Vous n'avez pas commencé par le plus réjouissant, c'est le moins qu'on puisse dire!
Je sais que vous m'aimez, je le constate chaque jour un peu plus... et même si je suis votre belle-fille, je peux vous assurer que vous êtes comme mes parents-bis depuis très longtemps... merci d'être toujours là pour nous 5 comme vous le faites...
Je vous aime fort...
bisous
véro
Je n'avais pas encore eu l'occasion de lire ce post et encore une fois tu m'as fait couler quelques larmes ! Pourtant je connais cet épisode car tu me l'avais déjà confié mais c'est toujours très émouvant.
Et ton instit de CM2 avait raison, tu écrit vraiment très bien, continue !
Je savais que tu connaissais l'histoire, donc je pensais que tu étais restée une lectrice silencieuse... C'est gentil de me mettre un petit mot et décidément, si je dois écrire un livre, en première page il y aura "A ma petite belle-soeur, qui a toujours cru en moi!!!"
(je viens de lire ton com "sur ma planète" et tu es vraiment MA lectrice number one, merci !!!)
Je peux si bien comprendre ton billet!
Je me dis toujours que la vie nous apportes ce que nous avons le courage de surmonter!
Alors ce qui ne nous détruire pas à la capacité de nous rendre encore plus fort!
Comme tu peux voir, par temps libre je fouine tes archives !
gros câlin!
Je découvre ton blog, ta vie, toi. Je lis et quand je suis tombé sur celui-ci, j'ai arrêté de lire, j'ai recommencé... Pour le lire avec mes yeux d'enfants qui sait, qui comprend... J'ai vécu sensiblement la même enfance à l'exception que ses coups étaient moins fréquent rendu à moi.
Je suis sans mots là. Je me demande comment te dire, que je sais. Mais je pense que tu sais... Que je sais...
Je te fait un gros calin. xxx
@Délire : Je me surprends encore à relire ce billet... à me rendre compte que j'ai osé le mettre en mots, au grand jour, si je peux dire... les coups étaient essentiellement portés sur ma mère... je voyais tout, il le savait, en jouait... la terreur psychologique, l'incapacité à la protéger, était mon quotidien...
Je te remercie pour tes bons mots... et cela me fait toujours quelque chose quand j'apprends que je ne suis pas la seule à l'avoir vécu...
Gros bisous
Véro
Je te dirai pas que j'ai vécu, les écritures ont parfois le don de se reconnaitre entre-eux.. Cette place ci est ton exutoire à toi, alors laisse lui prendre la forme que tu veux bien lui donner...
Quand les images cesseront de venir te hanter, quand tu sauras les manipuler et en faire d'autres récits,je serai là, juste à côté, à te lire, à pleurer, à pester et à maudire l'équilibre vascillant de la justice, mais, je viendrai me bercer de tes mots et me dire que ca vaut le coup de continuer ;)
Au delà des marches, à p'tit coup de rien il y a un tout...
Un petit truc pour les couleurs : le rouge donne la vie comme il la retire... Tu as droit de donner un nouveau sens à tes souvenirs! C'est beau ce que tu fais... Continue!
Pauvre petite Véro. Tu étais bien jeune pour vivre de tels drames...Les disputes de mes parents étaient beaucoup moins violentes et le simple fait de me les rappeler provoquent une ondée de larmes. Alors j'imagine que pour toi, ce fut l'enfer...
Ouh la la! Je suis scotchée à la lecture de ton blog depuis plus d'une heure et tout à coup... ça!
Je ne sais que dire mais j'ai envie de te faire un gros bisou même si je ne te connais pas. Tu es une maman formidable et une femme étonnante. Quelle générosité de partager tout ça avec de parfaits inconnus! Pour tout de dire, je n'osais pas mettre de comm jusque là par peur de paraître "intrusive" mais en lisant ces lignes, je me dis que je le dois. Pourquoi? Peut-être parce que ton histoire trouve des échos chez chacun même quend les formes sont (heureusement) différentes.
Plein de pensées pour toi et ta famille.
Je découvre tes blogs depuis hier et je pressentais ce que j'allais lire là, sur cette journée si spéciale de ta vie. C'est vrai que tu es particulièrement courageuse et que la vie ne t'épargne pas les embuches, mais tu as quelque chose de très grand en toi, très fort et que j'admire, ta volonté de vivre mieux, d'attendre s'il le faut mais de ne pas lacher tout en acceptant que tout cela t'arrive...Tu écris très bien, les émotions passent, ta volonté de vivre aussi. Ton récit aurait pu etre glauque, il ne l'est pas, il est juste empreint de tout ce qui fait notre vie, des émotions contradictoires mais qui sont nous...personne n'est parfait, tout le monde peut de tromper mais il ya du bon en chacun de nous, suffit de le trouver...Je suis admirative devant ta force.
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