Je ne suis pas dans la norme française. Avoir le permis est la préoccupation majeure des 16-25 ans depuis un bon paquet d'années. C'est inscrit dans le mode opératoire qui consiste à faire de vous un adulte prêt à l'embauche : bac + permis en poche = mention bien sur le CV.... le minimum requis. L'incontournable.
Tous mes amis de lycée et de fac étaient en plein dedans. Soit en conduite accompagnée dès 16 ans, soit en forfait 20 heures dès 18 ans... c'était il y a 20 ans. Rares étaient ceux qui se le voyaient payé par papa et maman, nombreux étaient ceux qui bossaient l'été pour se l'offrir...
J'étais dans le groupe de la deuxième option... je travaillais dans la compagnie maritime locale, servive comptabilité, et ce tous les mois d'août depuis mes seize ans... le petit magot amassé me payait en priorité mes frais de TGV pour aller voir Jenfi... normal... ça comptait bien plus que le permis...
Je savais que je devais économiser pour m'inscrire à l'auto-école, mais bon...
Je ne me pressais pas pour le faire...
C'est le moins qu'on puisse dire.
J'ai appris à 32 ans... complètement stressée et largement au dessus de la moyenne d'âge des jeunes âmes qui bûchaient le code avec moi le soir... j'étais vraiment au pied du mur. Je venais de quitter la capitale et mon métro chéri. Je me retrouvais dans un petit hameau à 20 kms de Rouen, complètement dépendante de Jenfi et complètement incapable d'amener mes filles à l'école... sans une longue marche de 30mns... la galère totale...
Je me suis faite violence. Je me suis inscrite à l'auto-école deux mois après notre arrivée, en plein hiver. J'ai passé six mois à faire des nuits blanches, à faire des crises de tétanie par la trouille de ne pas y arriver... j'ai perdu 4 kilos. Rien que par le stress. J'ai finalement réussi à avoir mon code du premier coup au printemps et je me suis présentée à l'examen de conduite en juin... les mains moîtes, le coeur à cent à l'heure... et j'ai échoué... j'ai dû le repasser en été et comme par hasard, je l'ai décroché le 23 août, date d'anniversaire de ma Julie... complètement sur un petit nuage... et étonnée par moi-même.
Je n'ai jamais eu confiance en moi. Sur ce point en particulier. J'ai toujours cru que je devais abandonner tout espoir de conduire un jour....
Je pense n'avoir jamais autant pris sur moi pour surmonter cette phobie...
Je peux l'expliquer. Mais cela n'est pas une excuse. Je ne suis pas très à l'aise avec tout ce qui va vite, tout ce qui peut déraper...
Mon père n'a jamais compris pourquoi je l'avais laissé gésir dans sa mare de sang quand j'avais neuf ans... pourquoi je ne bougeais pas... pourquoi je ne répondais pas à sa demande d'aide...
Il me sommait de venir auprès de lui, de réagir, mais j'avais comme un bourdonnement dans les oreilles... mes yeux étaient rivés sur ce qu'il tentait de contenir de lui-même et je sentais l'odeur malsaine de ses blessures me prendre à la gorge...
Je n'ai rien pu faire... j'ai senti quelqu'un me soulever de terre et me prendre dans ses bras, me cachant les yeux et me suppliant de ne pas les rouvrir... c'était la voisine... elle m'a emportée... loin, dans son appartement... et là, je ne sais plus...
Mon père n'a jamais eu le droit de regagner le domicile conjugal. Par contre, il a eu le droit de nous prendre un week-end sur deux, avec lui, mon frère et moi...
Il n'avait pas de chez lui. Il logeait dans la caravane familiale. Celle qui décore tous mes souvenirs de camping de petite fille... Nous passions donc nos dimanches avec lui dans les petits snacks, bars de la ville, et sur la route... il était calme en début de journée... mais le passage prolongé devant un comptoir d'assoiffés nous le rendait éméché vers le milieu de l'après-midi...
Comme à chaque fois, il y eut le dimanche de trop... avec le verre de trop...
Mon père conduisait la simca familiale, mon frère à sa droite, et moi derrière... il fonçait, en pleine ville... il ressassait le jour où ma mère a été plus forte que lui... il me demandait pourquoi je n'avais rien fait, pourquoi je n'avais pas levé le petit doigt pour lui... j'ai commencé à pleurer... il n'a jamais supporté que je sanglotte... cela a toujours redoublé sa violence envers moi... Il a alors pris la file de gauche, à toute allure... Nous étions sur le port, sur une longue ligne droite... il m'a dit 't'es aux premières loges, regarde-bien encore cette fois-ci..." et il a accéléré vers le camion qui arrivait en face... j'ai mis un temps à réaliser qu'il ne changerait pas de file et j'ai crié... mon frère a attrapé le volant et nous a remis sur la droite... de justesse....
Je n'ai jamais voulu le revoir seule, ni même avec mon frère... de peur qu'il ne loupe pas son coup, une autre fois...
Il a tout de même trouvé le moyen de foncer sur ma mère et moi en pleine rue... quelques mois plus tard... alors que nous traversions à deux pas de notre immeuble... de retour d'une course alimentaire... ma mère a eu un instinct bizarre... je crois qu'elle reconnaissait très bien le moteur de la simca... elle m'a poussée sur le trottoir et elle s'est effondrée dans le caniveau, la cheville cassée... il ne nous a pas percutés... il ne s'est pas arrêté...
Je crois que j'ai toujours assimilé la voiture à un objet de malheur, un cercueil ambulant...
Je conduis chaque jour pour amener mes enfants à l'école... faire mes courses... mais je redoute les autoroutes, les lignes droites... et les camions... j'aimerais passer outre et soulager mon homme en prenant le volant sur les longs trajets... mais je ne le fais qu'en dernier recours... si il pique du nez...
J'espère me guérir un jour de tout cela... je n'aime pas donner raison à mes peurs...
Il faut pourtant que j'accepte de vivre avec certaines de mes cicatrices...
Certaines ne disparaitront jamais... je le sais...
vendredi 21 septembre 2007
Le permis
Publié par Véro à 21:50
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
4 commentaires:
C,est incroyable ce que tu racontes. WOW! Et tu as réussis à passer outre ta peur et à apprendre à conduire.
Je vais parler de toi à une copine, elle a eu une enfance semblable à la tienne et je suis sûre qu'elle apprécierait te lire.
Je me doute que cela doit paraître surréaliste, et des fois moi-même, je me demande si j'ai vraiment vécu ce que je décris, pour te dire!!!!... tout semble si limpide aujourd'hui... C'est certainement pour cela que j'arrive à en parler, parce que je suis passée à autre chose...
J'accueillerai ton amie avec plaisir sur ce blog, j'espère toutefois revenir à des billets plus légers, car je me rends compte que je dérape beaucoup... de ma vie de maman actuelle!!!!
Dernièrement, Justine nous a parlé de faire la conduite accompagnée. Elle a voulu que je lui apprenne les rudiments de la conduite chez mes parents (ils habitent à la campagne donc il y a beaucoup de place). Et ça c'est fini à quelques centimètres du mur, parce qu'elle a eu disons le pied très lourd sur l'accélérateur. Plus je lui disias freine, plus elle accelerait alors que j'avais bien pris soin de lui indiquer comment on faisait et où se trouvaient les pédales. donc du coup, maintenant elle a peur, et hésite à faire la conduite accompagnée. On lui a dit que c'était parce que c'était la 1ère fois et qu'elle va apprendre mais...
Me suis mis en tête de te relire. Depuis le début. Un peu à la fois, j'serai pas loin pour partager tes peurs, tes craintes. Je continue ;)
Enregistrer un commentaire